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La dernière Cène

Publié le 12 juin 2018 dans Non classé

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les introductions varient mais les paroles sont toujours : “Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous.” — “Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi.”

La dernière Cène

La dernière Cène   (Lc 22,8.14-39)


(en italique, ce qui est propre à Lc, différent de Mt 26 et Mc 14)

8 Jésus envoya Pierre et Jean en disant : “Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions.

14 Quand l’heure fut venue, il se mit à table et les apôtres avec lui.

15 Et il leur dit : “J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir.16 Car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le Règne de Dieu.

17 Et ayant reçu une coupe, il rendit grâces et dit : “Prenez ceci et partagez entre vous. 18 Car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu’à ce que le Règne de Dieu soit venu.”

19 Et prenant du pain, il rendit grâces, le rompit et le leur donna en disant : “Ceci est mon corps, qui est donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi.

20 Et pour la coupe, il fit de même après le repas, en disant : “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang versé pour VOUS.

21 Pourtant, voici que la main de celui qui me livre est avec moi sur la table. 22 Car le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est livré !” 23 Et ils se mirent à se demander les uns aux autres lequel parmi eux allait faire cela.

24 Or il arriva une querelle entre eux sur lequel était le plus grand.*

25 Il leur dit : “Les rois des nations les dominent, et ceux qui ont pouvoir sur elles sont appelés Bienfaiteurs**. 26 Pour vous, rien de tel ! Mais que le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. 27 Car qui est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas l’attablé ? Or moi, je suis au milieu de vous comme le servant.

28 Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves. 29 Et moi, je dispose pour vous du Règne comme mon Père en a disposé pour moi, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume. Et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël.

31 Simon, Simon, voici que le Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le blé. 32 Mais moi, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères.”

33 Pierre lui dit : “Seigneur, je suis prêt à aller avec toi en prison et à la mort.”

 34 Mais Jésus dit : “Je te l’affirmes, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que, trois fois, tu aies nié me connaître.”

Un peu de vocabulaire


Cène : vient du latin cena, qui signifie repas du soir.

Rompre le pain : le père de famille ouvre ainsi chaque repas. Il dit la bénédiction : “Sois béni, Éternel notre Dieu, Roi de l’univers, toi qui fais sortir le pain de la terre.” Tous disent ‘Amen’. Puis il rompt le pain et donne un morceau à chacun. Ce partage vise à créer la communion entre les convives et avec Dieu. Au repas pascal, on ajoute à la prière de bénédiction : “Ceci est le pain de misère que nos pères ont mangé lorsqu’ils sortirent d’Égypte.”  (Dt 16,9)

Rendre-grâce : cette expression traduit le verbe grec eu-charisteô.

Juger (v.30) : c’est l’exercice du leadership et de la responsabilité, qui englobe aussi la fonction du jugement, comme les Juges de l’AT avant l’époque des rois (par ex. Déborah et Samuel, Juges 4 ; 1Samuel).

Cribler : passer les grains au tamis pour ôter les déchets de paille.

 

A) Se situer dans le récit (réflexion personnelle, sans échange)


Quel est le sens (ou les sens possibles) de la mort de Jésus pour moi ?

B) Explorer le récit d’Évangile


Quelles paroles de la liturgie eucharistique avons-nous en mémoire ?

– On peut observer les ressemblances et les différences aux v. 19-20.

Lc propose deux significations principales de la mort de Jésus : il est le serviteur solidaire de l’humanité fragile, et il est le prophète rejeté.

– Où le récit nous montre-t-il Jésus solidaire des disciples, malgré leurs limites ?

– Où nous le montre-t-il comme serviteur ? (ne pas oublier v. 32)

Jésus annonce encore une fois qu’il sera rejeté et tué ; il place le repas dans l’horizon de sa mort (par ex. ‘ne plus manger’ et ‘ne plus boire’).

Comment le récit suggère-t-il que les disciples n’envisagent pas la fragilité et l’échec prochain de leur leader ?

C) Éclairer ma vie à la lumière de l’Évangile


Au plan social, que penser de l’ironie et du renversement des valeurs des v. 25-27 ?

En Mt et Mc, cet enseignement concerne la manière dont les disciples doivent agir. Intégré dans le récit de la Cène, que peut-il nous dire sur le sens de la mort de Jésus ?  et sur la manière d’agir de Dieu lui-même ?

Les disciples veulent un leader fort. Est-ce qu’on peut leur ressembler, à propos de tout leader qu’on souhaite suivre ? et à propos de Jésus ?

D) Éclairer mon cheminement spirituel


Jésus accepte d’être tué par fidélité au Dieu dont l’amour est source d’une vie plus forte que notre mal, nos peurs et nos morts.

Comment ce récit de la Cène nous aide-t-il à redécouvrir cette signification de l’Eucharistie ?

La dernière Cène (Lc 22,8.14-39)   — Pour aller plus loin

En liturgie, les introductions varient mais les paroles sont toujours : “Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous.” — “Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi.” La liturgie a pris en Lc les mots soulignés ici[1]

En comparant avec Mt et la liturgie la parole de Jésus sur le vin, on constate l’absence de l’expression ‘le sang de l’alliance’ et du sens sacrificiel expiatoire de la mort de Jésus. Certes, Lc ne nie pas ce sens de ‘rédemption’ élaboré chez les chrétiens juifs. Mais il le met en veilleuse au profit d’autres thèmes plus universels : la solidarité de Dieu, en Jésus, avec l’humanité fragile et le prophète témoin fidèle jusqu’à la mort (13,33). On trouve d’autres indices de cela dans son oeuvre (Lc-Ac). Par exemple la rivalité entre disciples, que Lc insère ici, finit en Mc 10,45 par “le Fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude.” Lc coupe la finale sur la rançon (le rachat) et insiste sur Jésus serviteur : ici le corps et le sang ‘pour vous’, la prière pour Pierre et le souci de la foi du groupe au-delà de l’épreuve.

En Lc Jésus prend l’initiative de faire préparer le repas, et il en donne le sens dès le début : son désir de vivre en solidarité avec ses disciples ce repas de la Pâque, mémorial de la libération d’Égypte2.  Puisque chez Lc le thème du repas est important et signifiant, la Cène s’inscrit en continuité avec la pratique fréquente de Jésus qui partage la table des pécheurs. Le verbe ‘désirer’ ici est souvent péjoratif dans le NT ; mais Lc l’utilise aussi pour la faim ardente du fils prodigue et du pauvre Lazare (15,15 ; 16,21). Cette rare confidence de Jésus sur son état d’esprit suggère que c’est la présence même des disciples qui le nourrit et donne sens à l’épreuve qui vient, sa Pâque, passage par la mort vers la Vie. Pourtant la suite montrera que les disciples sont bien mal ajustés à lui — et pour tout dire pécheurs.

Justement, en 22,37 Jésus ajoutera : “Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : Il a été compté avec les sans-loi”, les pécheurs. Mais ici encore Lc coupe la suite de ce texte sur le Serviteur souffrant : car il portait les fautes des multitudes (Is 53,12). Cela montre encore le peu d’intérêt de Lc pour le sens ‘expiatoire’ de la mort de Jésus. Ce ‘il faut’, répété en lien avec sa mort (9,22 ; 13,33 ; 17,25 ; 24,7.26.44), nous le comprenons souvent comme une décision de Dieu planifiant la mort de Jésus, comme un destin décidé d’avance. Le but de Dieu ne peut alors être que l’expiation de nos péchés. Mais en Lc Jésus l’utilise dans d’autres contextes révélateurs : Il faut que j’annonce le Règne de Dieu ; Il faut se réjouir pour le fils retrouvé ; Zachée, il faut que je loge chez toi ! (4,43 ; 15,32 ; 19,5). C’est le sens même de sa mission : proclamer aux pécheurs le Dieu accueillant et miséricordieux (4,18-19 ; 6,36). “Ce ‘il faut’ est celui de l’amour sans calcul, du pardon sans condition, (…) Un ‘il faut’ qui prend-aux-entrailles. L’itinéraire de Jésus n’a d’autre explication que cette fidélité d’un amour qui ne peut qu’aller à l’extrême. (…) En Jésus, Dieu ne pouvait aller plus loin : il a accompli tout ce qu’il lui fallait accomplir pour que nos yeux se dessillent et que nous entrions dans la louange. (…) Ce ‘il faut’ n’exprime en rien une nécessité aveugle ou implacable.” [2]

Cet éclairage du ‘plan de Dieu’, qui renonce par amour à s’imposer à notre liberté, et qui doit donc consentir au refus meurtrier de son envoyé, est confirmé dans le récit de Zachée : “il faut” que Jésus aille témoigner de l’amour de Dieu à ce pécheur. Ce choix qui lui attire la critique des foules, Jésus l’explicite ainsi : “le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu” (19,5.10). Le ‘plan de salut’ de Dieu entrevoit nos obstacles et résistances, mais se poursuit malgré tout. Ainsi, c’est dans la solidarité avec ses disciples pécheurs, au soir de son dernier repas, que Jésus fonde et manifeste le sens de sa mort prochaine.

L’enseignement original de Jésus, qui oppose les grands de ce monde voulant qu’on apprécie leur pouvoir sur nous, et son propre choix de vivre en serviteur, est très percutant ici. Inséré dans le récit de la Cène, il devient révélateur aussi du sens de la mort de Jésus. Les disciples s’attendent à ce que l’Envoyé de Dieu agisse avec les moyens du Dieu tout-puissant, et non dans la fragilité humaine qui fera de lui une victime des ‘forces des Ténèbres’ (22,53). C’était déjà le sens des tentations au désert, récit qui annonce le retour de Satan (4,1-13). Les disciples vivent cette même tentation ; Judas n’est que l’un d’entre eux (22,3), et en Lc il participe lui aussi à tout le repas. Après le don du pain et du vin, tous s’intéressent à leur propre grandeur, en prenant appui sur la grandeur du messie qu’ils suivent. Et le chef du groupe, qui refuse l’annonce de sa propre fragilité, refusera le scandale d’un messie passif et impuissant.

C’est pourtant bien avec ces pécheurs et pour ces pécheurs que Jésus désire vivre ce repas qui institue le mémorial de sa vie et de sa mort. C’est en eux qu’il reconnaît ses compagnons d’épreuve. Et à eux qu’il promet la table commune avec lui dans le Règne de Dieu. Sa prière elle-même montre qu’il croit en eux plus qu’eux ne croiront en lui. On reconnaît ici le vrai serviteur à l’oeuvre, comme le vigneron dans la parabole du figuier stérile : il va travailler fort et faire tout ce qu’il faut pour aider le figuier à porter du fruit, pour lui éviter de périr (13,6-9, propre à Lc). Dans le don de sa vie, Jésus guide l’humanité vers la Vie en plénitude qu’il recevra de Dieu, Vie plus forte que le péché et la mort.

Le vocabulaire traditionnel de la médiation convient mieux au sens de la mort de Jésus selon l’Évangile de Luc. En croix, Jésus tient encore le rôle de médiateur en priant pour le pardon de ceux qui le rejettent. La nouvelle Alliance en son sang inscrite dans le mémorial de la libération d’Égypte, cette grande sortie vers la vie, signifie l’insertion de l’humanité, avec Jésus, dans son passage vers Dieu — comme le passage du peuple de Dieu avec Moïse, vers la Terre Promise. Jésus nous entraîne avec lui quand nous entrons à sa suite dans son destin d’Envoyé. “La célébration de l’Eucharistie rend possible le témoignage. Tel est le sens chez Lc du ‘Faites ceci en ma mémoire’ : le passage pascal de la croix à la résurrection engage les témoins à entrer dans l’acte sauveur du Fils. (…) L’exode—enlèvement de Jésus, célébré dans l’Eucharistie, apparaît comme l’acte d’Alliance qui convoque et rassemble tous les hommes, les introduisant dans la communion à son Père, accomplissement du Règne de Dieu.” [3]

*  Lc reprend ici la querelle (9,46), placée avant l’entrée à Jérusalem en Mc 9,33s ; 10,42-45.

** Les empereurs romains se faisaient appeler ‘sauveur et bienfaiteur de l’univers’.

[1]– Lc connaît Mc 14,22-24 mais il suit plutôt 1Co 11,23-25. La liturgie suit Mt 26,26-28 qui a complété Mc ainsi : Prenez et mangez, ceci est mon corps. (…) Buvez-en tous car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, versé pour beaucoup en rémission des péchés.

2– Sur la coupe du v. 17 la Pâque juive dit une prière d’action de grâce pour cette délivrance, dans l’espérance de la délivrance définitive qui s’accomplira à la venue du Règne de Dieu.

[2]– J.N. Aletti, L’art de raconter Jésus Christ. L’écriture narrative de l’évangile de Luc, Seuil 1989, p.207-209

[3]– J. Radermakers, P. Bossuyt, Jésus, Parole de la Grâce selon St Luc. 1981 (1999), p. 472.